ALLER SEUL
Récit par Douglas Seacat
Saxon Orrik regardait avec impatience les deux Cetrati qui lui barraient le chemin. Les skorne lourdement armuré refusait de bouger jusqu’à ce qu’un coursier émacié arrive de la salle derrière eux, se prosterne et soulève une fine tige enveloppée de tissu rouge. Voyant ce signal d’approbation, les Cataphractères ont levé leurs lances et se sont déplacés sur les côtés du portique. Ils reprirent leurs positions attentives. Juste derrière eux se tenait une paire de gardiens ancestrales dont l’attention silencieuse était ressentie par Saxon alors qu’il passait devant. Ses bottes ne faisaient aucun bruit sur les pierres posées avec précision de la Forteresse sur l’Abîme alors qu’il suivait le coursier esclave.
À intervalles réguliers, des soldats skorne occupaient des niches le long de la sale voûtée, mais moins que ne le pensait Saxon. Tous des vétérans grisonnants, ils lui lançaient un regard noir avec une hostilité qu’il s’était habitué à ressentir. Même le skorne qui avait bénéficié de ses conseils lors de la traversée du désert ne pouvait lui pardonner d’être humain. L’exemption qu’ils accordaient à leur Archdominar Suprême en tant que Réincarné ne s’appliquait pas à Saxon.
Le coursier l’a conduit non pas à la salle d’audience centrale mais à la promenade supérieure du mur de la cour intérieure. Saxon entendait clairement le hurlement des Terres des Tempêtes à travers les murs, s’élevant et s’abaissant avec une cadence familière. La fureur des Terres des Tempêtes empêchait la cour d’être à ciel ouvert, et son grand plafond en forme de dôme faisait de cette plus grande salle de la forteresse un triomphe de l’architecture skorne. Ses terrains de parades abrités pouvaient abriter une armée. Ils avaient accueilli la puissance rassemblée de l’Armée de l’Extrême Occident lorsque cette force s’était rassemblée pour entendre leur Conquérant les envoyer à la guerre un an plus tôt.
Cette silhouette particulière se tenait maintenant à la balustrade supérieure, portant une armure à plaques intégrales. Sa stature et son allure le rendaient imposant quelle que soit sa tenue vestimentaire, mais lorsqu’il était entièrement équipé pour la guerre, il ressemblait à un dieu. Même après cinquante-trois ans, ses cheveux longs, sa moustache, et sa barbe bien taillée demeuraient noir corbeau, sans un soupçon de gris. Saxon, lui-même âgé de sept ans de plus, était convaincu que les années l’avaient marqué plus sévèrement, bien qu’il soit toujours maigre et en forme après une décennie à tester ses limites dans le désert sans pitié. Le ranger s’était mis à se raser la tête sous son turban en tissu et l’exposition constante au soleil et au vent avait bronzé et altéré ses traits.
Vinter s’est tourné pour faire face à son visiteur avec un froncement de sourcils familiers et le regard troublant de son unique œil et le cache-oeil orné de bijoux couvrant la cavité de son jumeau perdu depuis longtemps. Son énorme épée, Régicide, une larme qu’il n’avait jamais rengainée, s’appuyant contre la rambarde à portée de main. Ils se tenaient tous les deux seuls, sans garde du corps. Le coursier s’était empressé de disparaître dans l’un des minces passages latéraux conçus pour permettre aux esclaves de passer invisibles de leurs supérieurs.
Saxon s’est profondément incliné et a baissé les yeux sur la pierre. « Votre Majesté ». Il préférait honorer Vinter comme son roi plutôt que d’employer des modes de discours skorne.
« Relève-toi. » Saxon a fait sa révérence et s’est tenu au garde-à-vous, les yeux baissés. Il pouvait sentir le regard de son seigneur, le jaugeant. Après une longue pause, Vinter a repris la parole, sa voix inhabituellement détachée. « Au moins, tu me sers toujours. Ou je me trompe ? »
« Vous ne vous trompez pas, mon seigneur. » Après un silence, il s’est senti obligé de demander : « Est-ce que tout va bien ? »
« Tout va bien ? » Vinter a répété cette phrase comme si elle l’amusait, et un petit sourire effleura ses lèvres. Dans l’instant suivant, son visage est devenu sévère. « J’ai soif. » Il a hoché la tête vers une flasque qui pendait à la ceinture de Saxon.
« Bien sûr, mon seigneur. » Saxon s’est immédiatement avancé et incliné en levant la flasque d’eau. « Vinter a pris une seule grande gorgée, comme s’il n’avait pas bu depuis des jours.
Cette affaire inhabituelle avec l’eau rappelait à l’esprit de Saxon un vieux souvenir. Il se souvenait avoir remis une flasque d’eau à son suzerain des années plus tôt alors qu’ils se tenaient tous les deux au milieu des dunes et planifiaient la première expédition qui n’avait pas réussi à s’emparer de Corvis. Cela a donné à Saxon un sentiment d’appréhension. Il avait appris à se présenter devant son seigneur l’esprit vide et à répondre à toutes les demandes sans hésitation Vinter était enclin à tester ceux qui le servaient, et il ne faisait rien sans but.
Vinter n’a pas fermé la flasque mais l’a retourné. Le liquide clair s’est déversé sur les pierres à ses pieds. « La loyauté est une ressource limitée en tout homme. Elle finit par s’épuiser et les laisse vaines. Tous trahissent, avec le temps » Il a lancé le récipient vide à Saxon.
Saxon Orrik ne croyait pas un instant que son seigneur parlait de sa propre loyauté. « Vous n’avez pas eu de nouvelle de l’Archdomina Makeda ? »
« J’ai eu des paroles. Une variété de rapports dénués de sens. Leur ton est manifestement neutre et ne me dit rien. Plus important encore, Morghoul est resté silencieux. Je lui ai confié une tâche et je n’ai d’autre choix que de conclure qu’il a échoué. D’autres sources le confirment vivant et en compagnie de Makeda. On doit supposer qu’il s’agit d’un complot. » Vinter s’était exprimé avec un calme absolu et ne faisait pas montre d’humeur ou d’inquiétude, ce qui a refroidi Saxon plus que si l’ancien roi cygnaréen avait hurlé de rage.
Saxon a attendu, mais lorsque Vinter ne s’est plus exprimé, le ranger a proposé : « Je voulais me renseigner sur le trafic inhabituel d’officiers que j’ai observés ces dernières semaines Des vétérans de l’Armée de l’Occident sont revenus ici pour demeurer inactifs pendant que des soldats moins expérimentés les remplacent. J’avais d’abord pensé que c’était votre volonté. »
« Non. C’est la main de Makeda. Je dois avouer qu’elle m’a surpris. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle ou Morghoul me renversent si tôt. Cela prouve ce que je pense de leur espèce depuis longtemps. Ils ressemblent plus à l’humain qu’ils ne le croient. » Le sourire de Vinter aurait pu refroidir la glace. « J’ai anticipé cela. Il est vital de ne pas devenir trop dépendant d’une seule arme. »
Cela a impressionné Saxon d’entendre Vinter parler de cette manière du possible dénouement de plus d’une décennie d’une œuvre difficile et sanglante. « Qu’attendez-vous de moi, mon seigneur ? Je pourrais mener une force pour appréhender le Maître Tourmenteur Morghoul et vous l’amener pour l’interroger.
« Non. Il est trop tard pour ça. Je respecte ton habilité, mais tu ne pourrais appréhender Morghoul. J’ai une utilisation différente en tête pour toi. Il est impératif que tu conserves et développe la niche que tu t’es forgé, même si tu dois avoir l’air de m’abandonner. Continue à guider les skorne et offre tes services à tous ceux qui te le demanderont. »
Saxon Orrik a hoché la tête, mais son visage ridé trahissait l’inquiétude. « Comme vous l’ordonnez, mon seigneur. Si je peux me permettre, qu’en pensez-vous ? Voulez-vous boucler la forteresse ? »
« la forteresse est perdue. » Vinter a prononcé ces mots sans aucun poids, comme s’il commentait la saveur de son dernier repas. « Je dois m’attendre à ce que Makeda ait compromis ma hiérarchie de commandement. Ne te méprends pas, ils ne s’empareront pas de cet endroit sans coût. Nombreux sont ceux qui sont impatients de mourir pour ma cause, et je leur en offrirai l’occasion. Halaak est théoriquement à toi, mais je m’attends à ce que les seigneurs des maisons trouvent des excuses pour me trahir assez tôt. Assurer leur obéissance nécessiterait une démonstration personnelle, et je ne perdrai pas ce temps. Ma voie va vers l’ouest, pas l’est. »
« Si la forteresse tombe, quel est votre plan, mon seigneur ? »
« Je me battrai et mes ennemis mourront. » Vinter haussa les épaules et sa main a effleuré le pommeau de son épée. « Makeda peut s’emparer de cette forteresse, mais elle apprendra à regretter ses choix. Des possibilités sont en cours. Il est préférable que tu ne connaisses pas les détails. Pour l’instant, fais-toi apprécier de Makeda. Trouve Asheth Magnus, s’il vit, et deviens précieux pour lui. Apprends ce que tu peux. Je te contacterai. »
Saxon Orrik s’est profondément incliné. « Cela sera fait. » En reculant, Saxon ressentait les effets d’une excitation plus profonde. Il savait que son ancien élève, Viktor Pendrake, s’était échappé pour retourner en Cygnar, échappant à la mort par un inexplicable caprice du destin. Saxon y a vu une opportunité – une chance de délivrer par sa propre lame une vengeance attendue depuis longtemps. Si l’occasion se présentait, il avait l’intention de la saisir.