LANDES NOUEUSES – TOMBE D’UN IMMORTEL
Par Aeryn Rudel
Elyshyvah regarda le soleil de midi et grimaça. Elle s’était rarement aventurée aussi loin au sud, et la chaleur de la fin de printemps était presque intolérable. Devant elle s’étendait un marais qui avait fini par fusionner avec les Landes Noueuses. Ses eaux calmes et saumâtres étaient réchauffées et grouillaient de nuages de moustiques agressifs. Pour une nyss habitué à la glace, au vent et à la neige, le terrain était plus infernal que tout ce qu’elle avait jamais rencontré. Revenant à l’ombre de la lisière de la forêt, elle laissa les branches du chêne noueux la protéger des rayons du soleil.
Derrière Elyshyvah, une douzaine de patrouilleurs nyss s’étaient réfugiés à l’ombre, supportant la chaleur sans se plaindre. Ils, tout comme elle, affichait les bénédictions d’Everblight sur leur chair, mais les leurs étaient bien plus évidentes : des jambes transfigurées leur accordaient un déplacement plus rapide, et des pointes osseuses dépassaient de leurs membres et visages. La corruption d’Elyshyvah était beaucoup plus subtile, avec peu de manifestations au-delà d’un motif de taches violacées qui couraient de la base de son coup au bas de son dos. Comme bergère de bataille, ses dons étaient plus orientés vers ses talents de sorcière et la manipulation des redoutables rejetons draconiques de la Légion.
Le dernier membre du groupe d’Elyshyvah se cachait plus loin en arrière, dans les ombres plus épaisses de la forêt. Le nephilim se tenait silencieux, ses mains griffues serrées autour de la crosse d’une immense arbalète et sa tête sans aveugle se déplaçant lentement d’un côté à l’autre, voyant tout à travers un sens qui n’était pas tout à fait évident.
Le groupe avait voyagé depuis le nord à travers la grande forêt que les humains et les trollkin appelaient l’Olgunholt, en prenant bien soin de passer inaperçue. Les serviteurs d’Everblight avaient de nombreux ennemis si loin au sud, et le petit groupe serait une proie facile pour les bandes bien armées de trollkin et d’humains de la région. Sa petite force, cependant, était assez habile pour entrer et sortit du territoire ennemi rapidement et silencieusement. Sa maîtresse, Vayl, également connue sous le nom de Consul d’Everblight, l’avait choisie elle et ses patrouilleurs pour cette même raison, les chargeant d’infiltrer des zones dangereuses à la recherche d’objets présentant un intérêt particulier pour Vayl – et à travers elle, le dragon Everblight. En raison d’une grande latitude et d’une grande autonomie, liberté qui lui avait permis de récupérer avec succès plusieurs importants artefacts pour sa maîtresse.
Pour mener à bien ses missions, Elyshyvah avait malheureusement souvent du oeuvrer avec ceux qui seraient considérés comme des ennemis dans d’autres circonstances. Tel était le cas actuellement, Vayl avait forgé une alliance avec une sorcière humaine appelée Fiona la Noire, qui connaissait l’emplacement d’un ancien site Orgoth que les deux souhaitaient explorer. Elyshyvah et son groupe de patrouilleurs avaient été dépêchées pour rencontrer l’un des subordonnés de la sorcière humaine. Elyshyvah connaissait peu de choses sur Fiona la Noire, si ce n’est qu’elle adorait la déesse humaine Thamar.
« Elyshyvah », murmura derrière elle une voix profonde et masculine. Elle n’avait pas entendu Ryvar s’approcher, mais elle était soudain très consciente de la proximité du patrouilleur assassin.
Elyshyvah se tourna pour lui faire face, plantant la crosse de son bâton de combat dans le sol devant elle. « Qu’est-ce qu’il y a, Ryvar ? Demanda-t-elle d’un ton glacial.
Clairement plus grand qu’Elyshyvah, Ryvar était grand selon les standards des nyss, même pour ceux affichaient la corruption du dragon. Ses membres étaient musclés et ses mains adroites aux longs doigts étaient tout aussi à l’aise pour manier son épée courbe, tirer avec l’arc recourbé dans son dos ou étrangler un adversaire avec sa seule force. Lui et son partenaire, Kyryl occupaient une position unique parmi les patrouilleurs d’Everblight ; ils formaient une équipe d’assassins compétente chargée d’éliminer des cibles spécifiques choisies par les warlocks du dragon.
« Nous sommes impatients de partir », déclara Ryvar de sa voix basse et chuintante. Le chuintement était un souvenir de bataille des années précédentes, quand un guerrier tharn lui avait ouvert la gorge. « Vayl exige une action rapide dans cette affaire. »
Les doigts d’Elyshyvah se serrèrent autour de son baton. « Je suis consciente de ce dont Vayl à besoin, Ryvar », dit-elle. « N’oublie pas que j’ai servie la Consule avec compétence pendant de nombreuses années. »
« Bien sûr », répondit Ryvar en hochant la tête, un sourire subtil fleurissant dans un coin de ses fines lèvres. « Bien que tu n’aies pas été aussi capable de ces derniers temps. » Il jeta un coup d’oeil à la jambe gauche d’Elyshyvah. Une cicatrice livide y marquait la chair ivoire, juste en dessous du bord de sa jupe en cuir bouilli. La warcaster iosienne Kaelyssa lui avait infligé cette blessure plus d’un an auparavant. Après avoir participé à la destruction d’une forteresse iosienne dans les Pics des Falaises du Tonnerre, Elyshyvah avait suivi Kaelyssa jusqu’à une forteresse naine où l’iosienne s’était réfugié et avait engagée la warcaster dans un combat unique. La récompense de son orgueil avait été une écrasante défaire et une blessure qu’elle porterait le restant de ses jours.
Pire encore, ses patrouilleurs survivants l’avaient extirpée de la bataille et emmenée, faible et honteuse, devant Vayl. La consule d’Everblight ne s’était pas emportée et ne l’avait menacée de douleur et de mort ; Vayl n’avait pas besoin de mesures aussi grossières. Au lieu de cela, elle avait simplement ordonné à Elyshyvah de soigner ses blessures et lui avait demandé de retourner à ses fonctions quand elle le pouvait. Quand, plus tard, Elyshyvah avait rassemblée ses patrouilleurs, elle avait découvert que Ryvar et Kyryl avait été ajoutés à son groupe – leur présence rappelait subtilement que l’échec ne serait pas toléré une seconde fois.
« Retourne dans l’ombre, Ryvar », dit Elyshyvah. « Je ne voudrais pas que tu gaspilles tes forces par cette chaleur avant que j’aie besoin de toi. »
« Selon tes désirs », répondit Ryvar en s’inclinant. « Lorsque tu auras besoin de nous,Kyryl et moi seront là. » Il revint ensuite vers sa compagne, qui était accroupie au pied d’un chêne particulièrement grand et déformé, faisant courir une pierre à aiguiser sur le tranchant de son épée.
Retournant son attention vers le marais, Elyshyvah fut soulagée de voir une douzaine de formes se déplaçant lentement à travers la boue. Un personnage en robe noire, vraisemblablement le représentant de Fiona.
« Melech », cria Elyshyvah à son arbalétrier nephilim. La créature tourna sa grande tête sans yeux vers elle au son de son nom. « Viens à moi. » Il répondit immédiatement et se déplaça pour se tenir à côté d’elle. L’énorme rejeton draconiques la dominait, et sa masse la remplissait de fierté et de confiance.
Elyshyvah resta à la lisière de la forêt, à la vue de tous, laissant les humains patauger dans la boue. Elle n’était pas prêtre à pénétrer à nouveau dans le marais si elle n’était pas obligée. Lorsqu’ils atteignirent le zone qui séparait le marais de la forêt, elle se retourna pour s’adresser à ses marcheurs. « Restez ici. Je veux des arcs en main, mais pas de flèches encochées et ne tirez pas à moins que je n’en donne l’ordre. » Ensuite, elle quitta l’ombre des arbres, suivie par Melech.
Les humains qui s’approchaient portaient des chemises et des pantalons amples et étaient armés de pistolets d’un assortiment d’armes de combat rapproché, principalement des épées à paniers et des haches à manche court. Leur peau était bronzée et tannée à cause d’une exposition au soleil et aux embruns salés de l’océan. Ils avaient l’air maigre et dur, bien que quelque peu indiscipliné. Le chef était habillé de la même manière que les autres, bien que sa tenue soit principalement noire et semble à la fois plus propre et de meilleure qualité. Il ne portait pas d’arme mais un prêtre de la sombre déesse avait probablement d’autres moyens de se défendre.
Le groupe s’arrêta à une douzaine de mètres, et l’homme en noir s’avança seul. Derrière lui, les autres observaient la forme massive de Melech, leurs mains s’attardant sur les crosses de pistolets et des poignées d’épée. L’homme en noir semblait complètement impassable face au nephilim, et il marchait d’un pas rapide dans la direction d’Elyshyvah.
Les cheveux foncés du thamarite étaient coupés court, sa barbe avait été soigneusement taillée autour sa bouche et de son menton. Son front était large et dégagé, et ses yeux brillaient d’un bleu vif qui lui rappelaient le ciel clair du nord. Elle supposait qu’il était avenant selon les normes que les humains jugeaient de telles choses.
« Vous êtes Elyshyvah ? » demanda l’homme en Aeric, son accent barbare trahissant sa méconnaissance de la langue. « Quelles langues pouvez-vous parler ? »
Sa maîtrise des langues humaines était limitée, mais elle avait une connaissance pratique du khardique et du cygnaréen. Elle choisit ce dernier, car l’homme n’avait pas l’air du nord. « Je suis elle », dit-elle.
« Je m’appelle Garrus », répondit-il, également en cygnaréen. « Ma maîtresse m’a demandé de vous donner ceci. » Il tendit un morceau de parchemin plié, qu’Elyshyvah prit et ouvrit. Sur le parchemin était griffonné le symbole que Vayl lui avait dit d’attendre : des flèches tripartites sur un champ noir. C’était le symbole de la déesse Thamar, la divinité que Fiona servait. C’était aussi le signe que c’était le représentant choisi par Fiona.
Elsyshyvah hocha la tête et rendit le parchemin à Garrus, qui le rangea sous sa robe. « Tu nous emmèneras au tombeau », dit-elle.
« Je le ferai », répondit Garrus, « tant que vous comprenez les termes. »
« Les conditions n’ont pas changé », dit Elyshyvah, en se hérissant. « L’épée appartient à ta maîtresse, le tome à la mienne. » Elle posa une main sur l’avant-bras massif et écailleux de Melech. » Je respecterai l’accord aussi longtemps que tu le feras », dit-elle.
« Bien », répondit Garrus, ignorant la subtile menace d’Elyshyvah. « Alors, continuons. »
* * *
Garrus marchait à quelques pas derrière la femelle nyss et l’imposant rejeton draconique à côté d’elle. Ses guerriers, qu’elle avait appelés « patrouilleurs », se déplaçaient devant elle, dans la direction qu’il lui avait indiquée sur la base des notes codées que Fiona lui avait fournis. Ses propres hommes suivaient derrière lui en une ligne irrégulière. Ils marchaient côte à côte en petits groupes de trois ou quatre avec toute l’habilité que l’on pouvait attendre d’hommes plus habitués aux ponts roulants d’un navire qu’à l’enchevêtrement des profondeurs de la forêt. Pourtant, les chiens de mer avaient été triés sur le volet parmi l’équipage du
Mauvaise Fortune, le propre navire de Fiona, et il savait qu’ils étaient maîtrisaient les pistolets, les épées et les haches qu’ils portaient.
Elyshyvah ne s’était plus exprimé depuis que les deux groupes avaient commencé à se déplacer vers le sud, vers leur but. Elle et ses « hommes » semblaient assez sauvages. L’effet de la corruption du dragon sur leurs corps l’intéressait cependant, et il se réjouissait de la rare occasion de l’observer de près.
Le rejeton draconique que les accompagnait était encore plus intrigant que les nyss que les nyss corrompus. Garrus savait qu’il était probablement l’un des rares humains de l’Immoren occidental à s’approcher si près de l’un des bêtes et à en vivre pour en parler. Humanoïde, il se tenait sur deux larges pattes griffues, et ses longs bras nerveux se terminaient par des mains à quatre doigts. Le rejeton draconique tenait une arbalète de la talle d’une petite baliste, indiquant à Garrus qu’il possédait un intellect au-delà de celui d’une simple bête. C’était une créature fascinante, et il n’aimerait rien de plus que de l’étudier plus en détail- de préférence sur sa table de vivisection.
Garrus reporta ses pensées sur la tâche à accomplir. Fiona lui avait confié avant tout le soin de rechercher le tombeau orgoth et de récupérer Harrowdim, la légendaire lame réputée y être enterrée. L’intérêt de Fiona pour la lame était compréhensible ; la magie déchue des orgoth était irrésistible pour quiconque cherchait à mieux comprendre l’occultisme. Il était honoré qu’elle l’avait choisie pour accomplir cette tâche.
Finalement, le terrain se retrouva complètement dépourvu de vie. Garrus fonça les sourcils, perplexe. Rien de ce qu’on lui avait dit ne l’avait amené à s’attendre à ce genre de dévastation. Sous leurs pieds, le sol craquait et crissait alors que leur pas réduisait les couches de détritus en poudre grise. Il jeta un coup d’œil à la cheffe nyss et vit que son expression était sombre.
« Que s’est-il passé ici ? » demanda-t-elle en cygnaréen, jetant un œil au paysage silencieux et mort.
« La puissante magie nécromantique des orgoth pouvait affaiblir et tuer des êtres vivants », répondit Garrus en s’approchant pour se déplacer à ses côtés. « mais je m’attendais à ce que de telles énergies se soient estompées depuis longtemps… » Elyshyvah hocha la tête, mais son expression demeura sombre et ils continuèrent en silence.
Le groupe émergea bientôt dans une clairière de terre crayeuse d’où les souches d’arbres depuis longtemps morts se dressaient telles les dents pourries d’une grande bête décrépie. Au centre s’élevait un large monticule de pierre et de terre entouré de six piliers gravés de runes, chacun mesurant environ 3 mètres de haut et semblant être de construction plus récente que l’antique tumulus. Un côté de la tombe était dominé par une ouverture sombre, délimitée de pierre noire et si grande qu’elle aurait pu facilement accueillir quelque chose la hauteur d’un homme et plusieurs fois sa largeur. L’énorme dalle de pierre qui aurait dû sceller la tombe gisait sur le sol à proximité. La femelle nyss grogna, et Garrus lui-même ressentit une pointe de consternation en remarquant que le sceau avait été brisé.
Elyshyvah fit un geste à son groupe et les patrouilleurs prirent position autour de la clairière, brandissant leurs arcs plutôt que leurs courtes et courbes épées. Le rejeton draconique resta près d’elle. Garrus plaça ses propres hommes plus près du monticule et se déplaça ensuite pour examiner de plus près l’un des monolithes.
L’observant, Elyshyvah demanda : « Et ces piliers ? Ils ne sont pas orgoth. Reconnais-tu les runes ? »
Garrus fronça les sourcils. « Ils sont le fait des trollkin. Une mise en garde, peut-être, ou une sorte de gardien. »
« Gardien ? Vont-ils nous barrer le passage ? »
Garrus secoua la tête. « Je ne pense pas ; ils sont probablement destinés à limiter la propagation de toutes les énergies persistantes ici.
Elyshyvah hocha la tête avec raideur avant de s’éloigner pour discuter avec l’un des patrouilleurs, un grand mâle que Garrus avait remarqué se tenir à l’écart des autres.
« Yorvek », cria Garrus en direction de son groupe de chiens de mer Un homme à la peau sombre, avec des pistolets en bandoulière sur la poitrine, se redressa devant lui. « Nous allons pénétrer, Bosco », dit Garrus. « Je veux que les torches soient allumées et les armes prêtes. Choisis deux hommes pour monter la garde. »
« Oui », répondit Yorvek avant de se retourner vers ses hommes.
Garrus tourna son attention vers Elyshyvah et vit qu’elle avait donné des ordres similaires aux siens. La plupart des patrouilleurs et son rejeton draconique se dirigeaient vers l’ouverture du tumulus ; les deux derniers se tenaient à la lisière de la clairière. Le grand mâle avec qui elle avait précédemment parlé lui tendait une torche allumée ; il semblait rester derrière.
« Je suis prête », dit Elyshyvah en s’approchant du monticule. Elle désigna l’entrée avec son bâton à lames. « Tu iras en premiers. »
Garrus fit une grimace face à son évidente méfiance. Lui-même n’était pas très heureux à l’idée d’avoir dix nyss corrompus et un rejeton draconique dans son dos alors qu’il descendait dans une tombe sombre et hantée, mais il doutait qu’Elyshyvah le trahisse avant qu’ils n’aient complètement exploré le tumulus. Il était beaucoup plus préoccupé par la possibilité de pièges orgoth.
Eh bien, il devrait juste en tirer le meilleur parti. Les nyss risquaient de faire trébucher quelque chose par leur ignorance, et il ne pouvait pas prendre le risque.
« Très bien », dit-il, « mais c’est vital pour vous et les … vôtres de suivre mes instructions. Les orgoth n’apprécie pas les intrus. Il s’empara d’une torche allumée par Yorve et la tint en l’air. La lumière diffusée révéla un passage abrupt de pierre lisse et travaillée qui menait sous terre. L’air vicié et moisi qui flottait des profondeurs de la tombe sentait légèrement la pourriture. « Restez derrière moi », dit-il à ses hommes par-dessus son épaule en franchissant le seuil dans l’obscurité.
* * *
Elyshyvah envoya son rejeton draconique derrière les humains et le suivit dans les ténèbres. Forcément, elle put entendre ses griffes cliqueter sur le sol de pierre ; il n’avait pas besoin d’une torche pour les voir. Ses patrouilleurs la suivirent, progressant prudemment dans un environnement artificiel.
Le cortège avançait lentement, un rythme déterminé par la progression prudente du prêtre en tête. Elyshyvah étudia les murs du couloir descendant régulièrement tour en progression. Ils étaient nus pour la plupart, mais elle apercevait parfois ce qui ressemblait à des runes trollkin gribouillées dans la pierre. D’autres endroits montraient des visages finement sculptés, méfiants et démoniques. Ils faisaient partie d’un motif général qu’elle savait être associé aux ruines et aux artefacts orgoth.
À plusieurs reprises, le groupe tomba sur des squelettes éparpillés dans le passage incliné, suggérant une intrusion plus récente. À ces occasions et à plusieurs autres, le prêtrs thamarite ordonna aux autres de s’arrêter pendant qu’il examinait les murs et leurs marques. Semblant connaître les chemins orgoth et leurs pièges, il les mettait en garde contre le fait de marcher sur certaines pierres. À plusieurs reprises, il enfonça ses doigts dans des ouvertures presque invisibles, provoquant des grincements à l’intérieur des murs, désactivant ainsi toutes les mortelles surprises qui auraient pu leur arriver.
Après une longue période d’obscurité éclairée par les torches, Elyshyvah remarqua une lueur devant elle. La lumière jaunâtre augmenta progressivement en intensité, débordant dans le passage et projetant d’étranges ombres déformées sur les murs. En approchant, elle se rendit compte que cela émanait d’une grande chambre ouverte au bout du passage.
Garrus et ses hommes pénétrèrent dans la pièce sans hésitation. Elyshyvah souleva sa main droite et leva son index et son majeur. Derrière elle, elle entendit les patrouilleurs répondre à son signal en rengainant leurs épées et en décrochant leurs arcs. La chambre devant elle semblait assez grande – assez grande pour permettre le tir de projectile.
Alors qu’Elyshyvah se déplaçait dans la chambre circulaire, elle fut stupéfaite par sa taille. Bâtie entièrement en pierre taillée et s’étendant sur des dizaines de mètres de diamètres, elle s’enorgueillissait d’un plafond en forme de dôme qui s’élevait à dix mètres ou plus. Le plafond était couvert d’étranges sigles et d’autres visages bestiaux qu’elle avait remarqué dans le passage. Une massive fosse contenant un grand feu dominant le centre de la pièce, ses flammes d’un jaune vif brûlant avec une luminosité anormale et sans combustible apparent.
Bien que largement vide, la chambre comportait un trône de pierre noire monumental reposant une estrade surélevée directement en face l’entrée, au nord. Dispersés devant le trône se trouvaient les restes brisés de dizaines de squelettes. La plupart d’entre eux tenaient encore des armes en fer rouillées ou des grossières armes en pierre et étaient recouverts de restes de vêtements ou d’armures en lambeaux. Sur le trône se trouvait le cadavre momifié d’un grand homme vêtu d’une armure d’acier élaborée. Une épée nue reposait sur ses genoux.
Garrus et ses hommes avaient commencé à s’approcher du trône, se tenant à l’écart du foyer. Avec Melech derrière elle, Elyshyvah suivit. Ses patrouilleurs s’étendirent le long du périmètre de la chambre, arcs à la main et flèches encochées.
À l’approche du trône, Elyshyvah put discerner plus de détails sur l’antique armure portée par son occupant. Elle ressemblait décidément à celle des orgoth. Cuirasse, cretons et avant-bras portaient tous des visages humanoïdes grotesques, étrangement allongés pour s’adapter à la pièce d’armure qu’ils ornaient chacun. Un casque conique à face ouverte, avec des cornes en acier torsadées, était posé sur la tête inclinée du cadavre.
Lorsqu’Elyshyvah rejoignit Garrus devant le trône, il pointa du doigt la grande épée qui reposait sur les genoux du guerrier orgoth et dit : « C’est Harrowdim. » L’arme à un seul tranchant ressemblait à un fauchon à deux mains. Des visages bestiaux hurlants se mouvaient et se tordaient à la surface de la lame, leurs visages torturés brillaient d’un léger vert acide.
« Alors, prends-la », répondit-elle.
Garrus secoua la tête. « Je ne pense pas que ce sera facile », prévint-elle. « Harrowdim est un prix trop important pour ne pas être gardé. » Il regarda le trône et le personnage qui s’y trouvait, perdu dans ses pensées.
Elyshyvah regarda les restes squelettiques devant le trône. Ils portaient tous les signes révélateurs d’une mort violente : côtes fêlées, crânes brisés et armes fracassées. La plupart étaient clairement là depuis de nombreuses années, mais des lambeaux de chair desséchée s’accrochaient aux os de quelques-uns, indiquant une mort plus récente. L’un des squelettes était plus petit et plus fin que les autres, et il tenait n massif volume recouvert de cuir teint en bleu profond. Ses yeux se fixèrent sciemment sur sa surface, mais elle ne donna aucun signe extérieur d’intérêt.
La voix de Garrus ramena son attention sur le trône et l’épée. « Je ne vois aucun signe barrières ou de pièges. Il doit y avoir un gardien. » Il se retourna et scruta les murs, mais son froncement de sourcils indiqua qu’il ne voyait pas plus de signes d’une autre entrée qu’elle.
« Un gardien, nous pourrons nous battre », dit-elle sans ambages. « Comment le trouver ? »
Garrus la regarda de façon égale, un sourire prédateur sur les lèvres. « Nous l’attirons. »
Il se tourna vers ses hommes, qui se tenaient à une courte distance et désigna un homme aux cheveux clairs près du seuil de la chambre. « Toi », cria-t-il. « Prends l’épée. » Le chien de mer hésita, puis jura alors que ses compagnons le regardaient avec des visages sombres. Il se dirigea vers le trône, le pistolet levé, essayant de ne pas marcher sur les squelettes qui s’amoncelaient devant lui.
Lorsqu’il atteignit le trône, l’homme tendit une main et lova ses doigts autour des bandes de cuir usés de la poignée de la grande épée. La sueur perlait sur son front. Il leva l’arme et un sourire se dessina sur son visage hâlé.
L’épée à la main, il se tourna et repartit vers Garrus. Il fit exactement trois pas avant de s’arrêter brusquement, ses traits se tordant d’agonie.
« Regardez la lame », chuchota Garrus.
Les visages se tortillant sur la longueur de Harrowdim étaient devenus beaucoup plus brillants. Leur illumination sinistre avait pris une qualité presque tangible, s’insinuant dans le bras du chien de mer telles des vrilles d’un éclat émeraude. L’homme tomba à genoux, les traits tirés par une évidente douleur alors que la terrible lueur verte enveloppait rapidement tout son corps.
Elyshyvah regardait avec une morbide fascination sa chair commencer à se flétrir, s’effondrant autour de ses os comme si la flamme verte qui brûlait son corps lui prélevait la vie. Sa bouche était ouverte et s’étendait de plus en plus à mesure que la peau devenait de plus en plus fine et tendue sur son crâne. Ses yeux se ratatinaient dans leurs orbites, s’effondrant vers l’intérieur avant de disparaître complètement. Remarquablement, il resta effroyablement vivant alors que l’épée aspirait avidement la vie de sa chair. Même après que l’homme ait été réduit à rien de plus qu’une enveloppe, il tremblait encore faiblement, les doigts grêles lovés autour de la poignée d’Harrowdim. Finalement, l’homme s’immobilisa et l’épée échappa à sa prise et claqua sur le sol de pierre.
L’épée brillait violemment et le rayonnement atteignit une intensité fulgurante qui obligea tous les personnes présentes dans la pièce à se protéger les yeux. La douloureuse illumination s’est lentement atténuée et fini par s’éteindre comme une bougie soufflée par le vent.
Elyshyvah retira son avant-bras de ses yeux et par réflexe lova ses doigts autour de son bâton de combat. Elle vit immédiatement que les humains avaient pointé leurs pistolets sur le trône et ses patrouilleurs avaient bandé leurs arcs, des flèches barbelées scintillant à la lueur des flammes. Melech siffla et leva son arme.
Le cadavre orgoth n’était plus un cadavre. Il se tenait devant le trône, la peau de bronze visible à travers les interstices de son armure. Le visage, sous le heaume, avait une allure noble, avec une large mâchoire, un nez crochu et des yeux enfoncés couleur d’onyx.
Le guerrier s’avança lentement et s’abaissa devant les restes du patrouilleur pour récupérer Harrowdim. Son mouvement fut suffisant pour briser la tension meurtrière dans la pièce. Le claquement sourd des cordes des arcs des patrouilleurs frappant les canons d’avant-bras en cuir retentit et fut rapidement suivi par le rugissement tonitruant des pistolets des chiens de mer. Une grêle de flèches et de coup de pistolet frappa le guerrier, le repoussant de plusieurs pas jusqu’à la base de son trône, mais ils tombèrent au sol dans une litière d’hampe brisée et de boules de plomb aplaties. La fusillade de projectiles semblant avoir eu peu d’effet.
Le tonnerre des coups de feu céda la place à la fureur désespérée du rechargement alors que les chiens de mer enfonçaient de nouvelles cartouches dans leurs armes.
Les patrouilleurs continuaient à tirer, encochant de façon régulière les flèches, tirant encore et encore.
Le guerrier orgoth souleva Harrowdim et sa large bouche se fendit en un sourire sauvage. Soudain, le bruit vif de l’arbalète de Melech remplit la pièce. L’énorme projectile heurta la cuirasse du guerrier, le renvoyant contre le trône. Le projectile avait pénétré l’armure et la chair derrière, laissant près de 60 centimètres du projectile empenné dépasser de son corps.
L’orgoth récupéra instantanément son équilibre. La rage sombre qui remplissait ses traits aquilins était antique et terrifiant. Il tendit une main, arracha le projectile de sa poitrine et le jeta. Ensuite, il s’empara d’Harrowdim à deux mains et disparut.
Un battement de coeur plus tard, Elyshyvah entendit Melech hurler. Elle se retourna pour voir le rejeton draconique à genoux devant le guerrier, le sang noir coulant d’une gigantesque blessure à l’abdomen. L’épée orgoth jaillit, et la tête du nephilim se détacha de son corps dans un jet de sang.
Une rafale de coup de feu de représailles suivit la mort de Melech, mais le guerrier disparut à nouveau. Elyshyvah lâcha sa torche et se retourna sur place, tenant son bâton de combat devant elle dans une position protectrice. La pièce entière avait éclaté en une cacophonie de voix nyss et humaine criant de confusion et de rage.
Le guerrier réapparut au milieu d’un groupe de chiens de mers, son épée dansant : une, deux, trois fois. Puis il disparut. Quelques secondes plus tard, il réapparut de l’autre côté de la chambre, à côté de deux patrouilleurs, et Harrowdim assouvit sa soif de carnage sur la chair des nyss. Les flèches des patrouilleurs et les tirs de pistolets des chiens de mer s’écrasèrent contre le mur alors que le guerrier disparaissait à nouveau.
Le silence régna un instant, puis l’orgoth réapparut sur son trône, Harrowdim se reposant à nouveau sur ses genoux. Des ruisseaux de sang coulant lentement le long de la lame gorgée de sang et sur les jambes armurées du guerrier avant de s’écouler sur le sol en pierre.
Les pistolets des chiens de mer et les arcs des nyss pointèrent vers le trône, ce qui poussa Elyshyvah et Garrus à crier presque à l’unisson dans leurs langues respectives : « Ne tirez pas ! »
Le guerrier orgoth fixa les personnes devant lui, ses yeux noirs étincelants. « Vous osez vous immiscer dans ma cour ? Demanda-t-il d’une voix retentissante, remplissant chaque espace de la colossale chambre. « Présentez vos respects devant ce trône ou vous souffrirez pour votre témérité. » Il s’exprima en cygnaréen, mais avec un accent qu’Elyshyvah n’avait jamais entendu.
Garrus s’avança et s’agenouilla devant le trône. « Pardonne notre intrusion, Excellence », dit-il, la voix tremblante. « Nous ne recherchons pas à susciter votre colère. »
Le regard du guerrier orgoth se tourna vers Elyshyvah. Elle sentit son poids sur elle comme une chose tangible, une malveillance sombre et étouffante. « Et vous, palote ? » Demanda-t-il. « Trop hautaine pour s’agenouiller devant meilleur que toi ? »
Elyshyvah inclina la tête. « Moi aussi, je ne veux pas manquer de respect, mais je ne peux pas m’agenouiller devant ce trône », dit-elle ; se demandant si ces paroles seraient les dernières. « Ma fidélité appartient à quelqu’un de plus grand que vous. »
« Plus grand que moi ? » Le guerrier rejeta la tête en arrière et rit. « Vous avez de la volonté, esquimau. J’admire ça chez un esclave. Agenouillez ou debout ; cela ne fait aucune différence pour moi. »
« Garrus se releva. « Je m’appelle Garrus », dit-il. « Celle que je sers m’a envoyé traiter avec vous. Ce qui nous a amenés à votre … salle. »
« Qu’est-ce que vous cherchez ? » s’enquit l’orgoth. « Je n’ai pas de trésor, et même mes esclaves ne sont plus que des os maintenant. »
Garrus, peut-être inconsciemment, jeta un coup d’oeil au cadavre ratatiné du chien de mer devant le trône. L’acte n’échappa pas à l’attention de l’orgoth.
« Bien sûr, tu cherches la lame », dit-il, en plaçant une main sur la pognée de Harrowdim. « Je ne vous la cacherai pas. » Il saisit l’épée par la lame et la tendit poignée en avant. « Avancez et prenez-l. »
« Ma maîtresse s’intéresse grandement à Harrowdim », admit Garrus, tout en s’éloignant du trône.
« Non ? » dit le guerrier, en souriant. « Et vous ? » Il pointa la poignée vers Elyshyvah. Elle ne dit rien et resta simplement immobile.
Le guerrier remit l’épée sur ses genoux et s’installa à nouveau sur son trône. « Cela fait de longue années que personne de digne n’est venu chercher l’épée », dit-il.
« Que voulez-vous dire ? » Demanda Garrus.
« La lame s’est alourdie au fil des années. J’aurais tendance à la transmettre à quelque de digne de sa puissance », déclara le guerrier. « Peut-être l’un de vous. »
« Comment est-ce que je – vous – prouvons notre valeur ? » Demanda Garrus, jetant un coup d’oeil à Elyshyvah. Elle n’aima pas ce qu’elle vit dans les yeux de l’homme.
Le guerrier orgoth sourit, montrant une rangée nette de dents blanches parfaites. « Vous survivrez. »
* * *